01/10/2009 15:19

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Faut-il abattre les clochers? (La Vie)
 
Faut-il abattre les clochers ?
par Constance de Buor et Christine Monin
avec l’aimable autorisation de La Vie
PATRIMOINE. À l’occasion des Journées du patrimoine, zoom sur l’entretien et la réhabilitation des églises. Un épineux problème pour les communes.
Sauvée. L’église Notre-Dame de Saint-Chamond (Loire) ne sera pas rasée. Les électeurs, catholiques ou non, attachés à ce symbole local, ont voté à 80,5 % pour la restauration de l’édifice. Bâti au XIXe siècle dans une roche calcaire friable, le lieu de culte s’est fragilisé au fil des ans et a déjà coûté à la ville, qui compte six autres églises, plus de 3 millions d’euros. « Pour achever les travaux, il faut débourser 3 millions supplémentaires, précise Michel Ponton, adjoint au maire chargé des finances. Devant une telle somme, il nous semblait nécessaire de consulter la population. » Partout en France, comme à Saint-Chamond, de nombreuses églises, abîmées par le temps et le manque d’entretien, ont besoin d’être restaurées. Sous l’effet de la désertification des campagnes et de la baisse de la pratique religieuse, ces bâtiments se sont dégradés.
Les élus et les citoyens s’inquiètent : comment payer la facture des travaux ? Depuis la séparation des Églises et de l’État, en 1905, la plupart des 60 000 églises paroissiales françaises appartiennent aux communes qui doivent en assurer l’entretien, tandis que le clergé en est l’affectataire. Les villages, en particulier, supportent difficilement cette charge financière. Or, ils sont les premiers concernés, puisque les trois quarts des églises appartiennent à des communes de moins de 3 000 habitants. Le département, la région et parfois l’État sont souvent prêts à mettre la main au portefeuille, mais leur contribution reste partielle. Où trouver l’argent manquant ?
À Plounérin, 750 âmes, dans les Côtes-d’Armor,le maire est désespéré. L’église Saint-Nérin est un gouffre financier. « La construction est victime de malfaçons. Depuis 1920, tous les conseils municipaux ont successivement rénové la toiture, le clocher… Et ce n’est pas suffisant », regrette Pascal Vieilleville. 2,6 millions d’euros de travaux restent à effectuer, alors que la commune ne dispose que de 100 000 € pour ses investissements. « Même avec 60 % de subventions publiques, il faudrait que Plounérin s’endette sur 30 ans pour financer cette réhabilitation. » Un choix qui se ferait au détriment de la rénovation de l’école et de la salle polyvalente, de l’entretien de la voirie et des équipements… Pour trouver une solution, le maire souhaite consulter ses administrés dans les prochains mois.
Conscient de l’impasse dans laquelle se trouvent les communes rurales, le ministère de la Culture a chargé le Comité du patrimoine cultuel d’organiser en juin 2008 un colloque sur la question. Le bilan est plutôt rassurant. « Il ne faut pas tomber dans le catastrophisme. Sur 60 000 églises, seules 144 ont été désaffectées depuis 1905 et moins d’une dizaine, détruites depuis 2000 », relativise Yves Lescroart, secrétaire général du Comité du patrimoine cultuel. Ainsi, à Saint-Georges-des-Gardes, dans le Maine-et-Loire, ou à Lambersart, dans le Nord. « Jamais autant d’édifices religieux n’ont été restaurés que lors de ces dernières décennies », insiste-t-il.

Aujourd’hui, les églises médiévales sont relativement bien protégées, les plus fragiles restent les monuments du XIXe, souvent construits à la hâte et moins appréciés du grand public. « On oublie aussi que les rares démolitions ont souvent été suivies par la reconstruction d’un nouvel édifice de culte, poursuit Yves Lescroart. Plus petit, plus adapté aux besoins de la pastorale. » Il arrive aussi que, la construction ayant tardé, les paroissiens soient partis vers d’autres églises, ou que le nouveau bâtiment ne suffise pas à accueillir tous les croyants du secteur.
Mais peut-on sauver tous les édifices paroissiaux ? Que serait une France sans clochers ! « Ils sont une carte d’identité, un lieu de mémoire et de rassemblement pour tous ceux qui y ont baptisé un enfant, enterré un proche », souligne Roland Minnerath, archevêque de Dijon. Au-delà des catholiques, les citoyens y sont profondément attachés. « Mais certaines églises sont arrivées au terme de leur vie et sont irréparables », analyse Yves Lescroart. Il faut procéder par ordre de priorité. Pour la Fondation du patrimoine, qui œuvre à la restauration du patrimoine rural non classé, deux critères sont essentiels : « L’intérêt architectural et symbolique de l’édifice, bien sûr, et surtout, la mobilisation de la population », insiste Benjamin Mermet, responsable du mécénat. La Fondation ne contribue à l’opération que si une souscription locale atteint 5 % du montant des travaux. Les associations de soutien aux églises – plus de 5 000 en France – jouent ici un rôle décisif : aussi bien pour la collecte de fonds que les petits travaux, ou l’animation du lieu.
La mobilisation des citoyens est décisive. À Arc-sur-Tille, dans la périphérie de Dijon, les habitants sont allés jusqu’à créer, il y a 18 ans, l’association Une église pour Arc-sur-Tille (UEPA). Avec un objectif clair : tout faire pour aider la municipalité à restaurer Saint-Martin. Depuis sa fermeture, en 1989, les travaux de l’église n’ont cessé d’être repoussés. En 2005, coup de tonnerre, la municipalité vote la démolition de la bâtisse. « Nous étions seuls contre tous », se souviennent André Fanjaud et Jean Battini, responsables de l’UEPA. Mais l’association n’a jamais désarmé. Finançant des experts indépendants, saisissant le tribunal administratif qui a gelé la destruction… Ces militants ont fait preuve d’ingéniosité : ils ont ouvert un site internet (www.uepa.fr), lancé une pétition, organisé lotos et brocantes pour lever des fonds, écrit au ministère de la Culture… Récoltant ainsi 216 000 €. « On revient de loin », soufflent les deux hommes. La nouvelle municipalité doit organiser une consultation sur l’avenir de l’église au printemps 2010. L’UEPA est repartie en campagne. Cet attachement des Français au patrimoine religieux est aujourd’hui indéniable. Mais Olivier de Rohan-Chabot, président de la Sauvegarde de l’art français, s’inquiète : « Qu’en sera-t-il demain, quand la déchristianisation aura fait sentir ses derniers effets ? Le principal ennemi de nos clochers est l’indifférence. Il faut enseigner la beauté et l’histoire de ces lieux aux plus jeunes. »
Le clergé l’a bien compris : l’avenir de ce patrimoine est incertain et les fidèles doivent se mobiliser. En 2007, la conférence des évêques organisait un groupe de travail sur le sujet. « L’église de pierre est le signe de la vitalité de la communauté croyante. Si nous n’utilisons pas davantage nos lieux de culte, comment justifier que les communes arbitrent en faveur de leur restauration », souligne Roland Minnerath, dans le bilan publié par la commission en 2009. L’Église veut encourager les croyants à faire vivre leur clocher. « Ces édifices sont porteurs d’une culture muette, unique en son genre, soutient Claude Dagens, évêque d’Angoulême. Ce ne sont pas des lieux comme les autres, ils sont habités par le Christ, les saints, les hommes qui nous ont précédés. » Une culture d’accueil aussi, « puisqu’il n’y a ni sélection ni contrôle à l’entrée ». Pour favoriser le dialogue entre Église et pouvoirs publics, l’évêque a mis en place dans son diocèse une commission des bâtiments du culte et réunit chaque année pour un colloque collectivités locales, architectes, clergé, laïcs engagés…

Garder toutes les églises ouvertes en permanence est impossible, les responsables catholiques l’admettent. Néanmoins, il faut encourager les fidèles à prendre le temps de les ouvrir « à heures régulières », comme le préconise le document épiscopal piloté par Roland Minnerath. Et de suggérer quelques détails pour donner vie à l’ensemble : un livre d’or pour les visiteurs, un fond musical, un panneau d’information à jour, des fleurs fraîches… Dans de nombreux diocèses, la tâche a été confiée à des laïcs, des relais paroissiaux. Un véritable engagement pour ces chrétiens qui couvrent souvent plusieurs clochers et manquent de renfort. À Chartres, des fidèles, rassemblés au sein de l’association Églises portes ouvertes, assurent des heures d’accueil.
Mais les évêques appellent aussi au « maintien de l’usage cultuel des églises ». Certes, les prêtres manquent. « Mais l’exercice du culte n’est pas limité à la seule messe », dit Claude Dagens, au diapason avec les pouvoirs publics. Les relais paroissiaux sont ainsi invités à organiser des temps de prière, maintenir des rendez-vous de catéchèse, mettre en place des visites guidées à caractère spirituel, monter une crèche… Autant de pistes évoquées par le document épiscopal et déjà suivies dans de nombreux lieux.
Dans l’ensemble paroissial de Jarnac (Angoulême), les fidèles organisent l’été, avec leur curé, Laurent Maurin, une marche des églises. Départ à pied, le dimanche matin après la messe, pour un circuit ponctué d’une vingtaine d’étapes dans chaque église du secteur. Les marcheurs y retrouvent les habitants pour un temps de silence, de prière, de musique, ou un office. Et partagent avec eux des topos historiques ou artistiques sur les lieux. « Symboliquement, ce petit pèlerinage assure le lien entre les clochers, montre que nous sommes reliés les uns aux autres. Et c’est l’église où nous nous arrêtons qui est au centre de ce processus de communion », observe le prêtre. Pour assurer leur avenir, les édifices religieux peuvent aussi accueillir des événements culturels, concerts ou expositions temporaires. À deux conditions, rappelées à la fois par les évêques de France et une circulaire interministérielle du 21 avril 2008 : le curé doit donner son accord et l’événement doit respecter le caractère sacré du lieu. Un double usage pour lequel optent la plupart des édifices récemment restaurés. Au sein même de l’Église, des croyants s’investissent dans ce type de projet.
 
Relais paroissial près de Saint-Flour, dans le Cantal, Monique Engelvin s’efforce de revitaliser son église Saint-Pierre de Coren, 400 habitants. La bâtisse, aujourd’hui ouverte en de rares occasions, sera bientôt rénovée par la municipalité. Outre sa mission de chrétienne engagée, Monique a décidé avec quelques citoyens de lancer fin 2008 une association pour la mise en valeur de l’église. « Nous avons déjà organisé deux concerts et en prévoyons un autre au printemps, raconte cette bénévole de 58 ans. L’une d’entre nous a même entamé des recherches historiques pour les transmettre aux habitants quand Saint-Pierre sera restaurée. »
La santé des lieux de culte est fragile et coûte cher. À quoi bon les rénover s’ils restent fermés ? Pour les faire vivre, l’Église et les pouvoirs publics cherchent des solutions. « Un examen de conscience est nécessaire pour que chacun reconnaisse que la présence de l’Église dans la société passe par les églises », résume Claude Dagens. Sur le terrain, la mobilisation des citoyens, paroissiens ou non, est encourageante, mais encore insuffisante. À la Fondation du patrimoine, Benjamin Mermet plaide pour un usage élargi des lieux de culte : « Les restaurations actuelles doivent être motivées par un projet visant à réinsérer ces édifices dans la vie sociale locale. Sinon, qui se mobilisera encore quand, dans 5 ou 30 ans, il faudra décider de nouvelles vagues de travaux ? ».
Autre piste de réflexion : à Saint-Chamond, la mairie a proposé à l’évêché d’investir plus d’argent dans l’aménagement intérieur de Notre-Dame, si le diocèse acceptait de créer dans une partie du bâtiment un espace de dialogue interreligieux. Une suggestion originale : l’église ne serait pas simplement là pour héberger des événements culturels ponctuels mais, acteur de la vie sociale, serait systématiquement impliquée dans les projets qui s’implanteraient entre ses murs. 

 

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